[n° ou bulletin] est un bulletin de
Titre : |
730 - Février 2017 - Le vertige Jackie |
Type de document : |
texte imprimé |
Année de publication : |
2017 |
Importance : |
94 p. |
Présentation : |
ill. en coul. |
Note générale : |
Ce mois de février est américain. Jackie est certes réalisé en France par un Chilien, mais Pablo Larraín parvient superbement à recréer les États-Unis en studio en mêlant des images d’archives. C’est un maelström, un tourbillon, qui relève de l’art du portrait, du portrait en action, au moment où l’héroïne vit les heures les plus importantes de sa vie, au moment où elle écrit l’histoire. À l’inverse de ce geste virtuose, deux films s’ancrent profondément dans le territoire : Loving de Jeff Nichols, contrechamp idéal et contemporain de Jackie, une autre manière de faire l’histoire, du côté des anonymes ; et Certaines femmes de Kelly Reichardt, magnifique peinture de personnages-paysages dans le Montana. Deux films que certains balaieront peut-être en disant qu’ils sont en demi-teinte, alors qu’ils sont dans la nuance et que cette douceur fait du bien.
John Truby ressort ce mois-ci son Anatomie du scénario (Michel Lafon), bible du cinéma capitaliste américain, qui ne jure que par le conflit et la guerre de tous contre tous. Mais croire qu’un film n’est que le « développement personnel » d’un « héros » en « conflit » avec des « adversaires », jusqu’à sa transformation « morale », c’est voir le cinéma par le petit bout de la lorgnette. Alors oui, il y a du conflit dans Loving, le couple Loving se battant pour ses droits, mais il n’y a aucun conflit entre eux, et ce qui plaît justement c’est cette douceur, qui va avec ce titre magnifiquement à double sens : loving, aimer. La question centrale du film n’est pas celle du conflit, mais de l’amour. Le film de Kelly Reichardt est tout ce qu’il ne faut pas faire : un film en trois parties, sans conflit central, une variation sur trois figures de femme, dans leur rapport au travail (Laura Dern), au foyer (Michelle Williams), à l’amour (Lily Gladstone). Reichardt fait confiance à l’unité de la mise en scène, au montage entre les personnages, à leur lieu commun, pour créer un ensemble. Là aussi ce sont des portraits en action. Ce qui compte, ce n’est pas le développement personnel, mais la pensée, la rêverie, qui traversent le film et relient des éléments hétérogènes.
Ces films que certains diront fragiles (alors qu’ils sont intensément sensibles et intelligemment construits) sont des antidotes au hit bodybuildé Manchester by the Sea (n°2 du référendum 2016 de Sight and Sound), ersatz bien calculé de Paris,Texas, apparent film sensible où justement le conflit est démultiplié à tous les niveaux de manière artificielle. Entre l’oncle et le neveu qui se retrouvent après le deuil du frère mais passent leur temps à s’envoyer des punchlines comme si toute scène de cinéma était devenue un ring de boxe ; et entre les hommes et les femmes – on a rarement vu film aussi macho que ce « Machester », les femmes étant toutes hystériques, coupables, malades, jamais là où il faut (alors que pas touche à la camaraderie virile). À faire du règlement de comptes à tous les étages, ce mélo de manuel perd toute émotion.
Mais prenons deux sorties hollywoodiennes. Split de Shyamalan : est-ce un film sur une fille qui essaie d’échapper au grand méchant loup ? Ou plutôt sur le lien qui se tisse entre eux, un terrain commun d’humanité et de malheur ? Tout grand film est un film sur le lien et non sur le conflit, sur la manière dont les gens s’approchent, se comprennent, font partie d’une même humanité. Dans Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee, le conflit interne (retourner en Irak ?) n’est qu’un prétexte : ce qui importe c’est la pensée qui traverse le film. Les personnages sont des symboles (Steve Martin en Trump local, une cheerleader en Marianne US) dans un trajet abstrait, comme celui de Jackie chez Larraín. Dans ce portrait en action, le plus touchant est le lien entre les soldats, communauté flottant entre deux chaos et partageant une même expérience. Une réplique dit : « C’est un jour comme un autre en Amérique. » Voici ce que proposent ces portraits d’Amérique : un jour dans la vie de Billy Lynn, trois dans la vie de Jackie, quelques semaines de certaines femmes, des plongées dans des vies. Il y a du conflit et du désir, mais aussi de l’amour et de la pensée. Et c’est là que le cinéma trouve sa grandeur, dans le trajet affectif et intellectuel qu’il propose autant à ses personnages qu’à ses spectateurs.  |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
Education aux médias:Revues:Cahiers du Cinéma
|
Note de contenu : |
Éditorial
Portraits d’Amérique par Stéphane Delorme
Événement
Jackie de Pablo Larraín
Vertige et vanité par Jean-Philippe Tessé
Raide dingue de Natalie Portman par Nicolas Maury
Les yeux de Jackie entretien avec Pablo Larraín – par Cyril Béghin
Un portait cubiste entretien avec Stéphane Fontaine – par Jean-Philippe Tessé
Larraín, l’ironie reine par Joachim Lepastier
Cahier critique
Loving de Jeff Nichols – par Cyril Béghin
Avec les Loving entretien avec Jeff Nichols – par Cyril Béghin & Nicholas Elliott
Certaines femmes de Kelly Reichardt – par Nicolas Azalbert
Le vent du Montana entretien avec Kelly Reichardt – par Jean-Sébastien Chauvin
David Lynch, The Art Life de Jon Nguyen, Rick Barnes et Olivia Neergaard-Holm – par Stéphane Delorme
Yourself and Yours de Hong Sang-soo – par Florence Maillard
Split de M. Night Shyamalan – par Vincent Malausa
Gimme Danger de Jim Jarmush – par Joachim Lepastier
Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee – par Florence Maillard
Le Concours de Claire Simon – par Louis Séguin
La Femme qui est partie de Lav Diaz – par Jean-Sébastien Chauvin
Brothers of the Night de Patric Chiha – par Laura Tuillier
Notes sur d’autres films American Honey (Andrea Arnold) – Chez nous (Lucas Belvaux) – Dans la forêt (Gilles Marchand) – Les Derniers Parisiens (Hamé & Ékoué) – L’Indomptée (Caroline Deruas) – Moonlight (Barry Jenkins) – Quelques minutes après minuit (Juan Antonio Bayona) – Rock’n Roll (Guillaume Canet) – Sac la mort (Emmanuel Parraud) – Silence (Martin Scorsese)
Journal
Réalité virtuelle VR le futur
Production Arcs in progress
Salle Polygone étoilé : l’étoile de Marseille
Programmation Équation à un inconnu à la Cinémathèque
Vidéo Infinie perfection sans faille (les most satisfying vidéos)
DVD Mad Max High-Octane de George Miller
DVD Sudden Fear (Le Masque arraché) de David Miller
DVD Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa
DVD Rusty James de Francis Ford Coppola
Livre Un homme cruel de Gilles Jacob
Livre Au travail avec Eustache de Luc Béraud
Festival Sevcikova à Porto
Festival Montpellier, les autres fictions du Cinemed
Festival Séville, si loin, si proche
News internationales
Disparitions Debbie Reynolds, Carrie Fisher, Zsa Zsa Gabor, Claude Gensac, Marc Nicolas
Hommage
Michèle Morgan
Une étrange destinée par Paul Vecchiali
Au travail
Le costume
Les coutures du film par Laura Tuillier
Voyage
Brésil
Paysage après coup par Joachim Lepastier
Cinéma retrouvé
William Wellman
Beau geste par Cyril Béghin
William Wellman en DVD
Entretien
Enrique Vila-Matas
Vivre dans la fiction entretien avec Enrique Vila-Matas – par Nicolas Azalbert
BD
Misfits par Luz |
[n° ou bulletin] est un bulletin de
730 - Février 2017 - Le vertige Jackie [texte imprimé] . - 2017 . - 94 p. : ill. en coul. Ce mois de février est américain. Jackie est certes réalisé en France par un Chilien, mais Pablo Larraín parvient superbement à recréer les États-Unis en studio en mêlant des images d’archives. C’est un maelström, un tourbillon, qui relève de l’art du portrait, du portrait en action, au moment où l’héroïne vit les heures les plus importantes de sa vie, au moment où elle écrit l’histoire. À l’inverse de ce geste virtuose, deux films s’ancrent profondément dans le territoire : Loving de Jeff Nichols, contrechamp idéal et contemporain de Jackie, une autre manière de faire l’histoire, du côté des anonymes ; et Certaines femmes de Kelly Reichardt, magnifique peinture de personnages-paysages dans le Montana. Deux films que certains balaieront peut-être en disant qu’ils sont en demi-teinte, alors qu’ils sont dans la nuance et que cette douceur fait du bien.
John Truby ressort ce mois-ci son Anatomie du scénario (Michel Lafon), bible du cinéma capitaliste américain, qui ne jure que par le conflit et la guerre de tous contre tous. Mais croire qu’un film n’est que le « développement personnel » d’un « héros » en « conflit » avec des « adversaires », jusqu’à sa transformation « morale », c’est voir le cinéma par le petit bout de la lorgnette. Alors oui, il y a du conflit dans Loving, le couple Loving se battant pour ses droits, mais il n’y a aucun conflit entre eux, et ce qui plaît justement c’est cette douceur, qui va avec ce titre magnifiquement à double sens : loving, aimer. La question centrale du film n’est pas celle du conflit, mais de l’amour. Le film de Kelly Reichardt est tout ce qu’il ne faut pas faire : un film en trois parties, sans conflit central, une variation sur trois figures de femme, dans leur rapport au travail (Laura Dern), au foyer (Michelle Williams), à l’amour (Lily Gladstone). Reichardt fait confiance à l’unité de la mise en scène, au montage entre les personnages, à leur lieu commun, pour créer un ensemble. Là aussi ce sont des portraits en action. Ce qui compte, ce n’est pas le développement personnel, mais la pensée, la rêverie, qui traversent le film et relient des éléments hétérogènes.
Ces films que certains diront fragiles (alors qu’ils sont intensément sensibles et intelligemment construits) sont des antidotes au hit bodybuildé Manchester by the Sea (n°2 du référendum 2016 de Sight and Sound), ersatz bien calculé de Paris,Texas, apparent film sensible où justement le conflit est démultiplié à tous les niveaux de manière artificielle. Entre l’oncle et le neveu qui se retrouvent après le deuil du frère mais passent leur temps à s’envoyer des punchlines comme si toute scène de cinéma était devenue un ring de boxe ; et entre les hommes et les femmes – on a rarement vu film aussi macho que ce « Machester », les femmes étant toutes hystériques, coupables, malades, jamais là où il faut (alors que pas touche à la camaraderie virile). À faire du règlement de comptes à tous les étages, ce mélo de manuel perd toute émotion.
Mais prenons deux sorties hollywoodiennes. Split de Shyamalan : est-ce un film sur une fille qui essaie d’échapper au grand méchant loup ? Ou plutôt sur le lien qui se tisse entre eux, un terrain commun d’humanité et de malheur ? Tout grand film est un film sur le lien et non sur le conflit, sur la manière dont les gens s’approchent, se comprennent, font partie d’une même humanité. Dans Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee, le conflit interne (retourner en Irak ?) n’est qu’un prétexte : ce qui importe c’est la pensée qui traverse le film. Les personnages sont des symboles (Steve Martin en Trump local, une cheerleader en Marianne US) dans un trajet abstrait, comme celui de Jackie chez Larraín. Dans ce portrait en action, le plus touchant est le lien entre les soldats, communauté flottant entre deux chaos et partageant une même expérience. Une réplique dit : « C’est un jour comme un autre en Amérique. » Voici ce que proposent ces portraits d’Amérique : un jour dans la vie de Billy Lynn, trois dans la vie de Jackie, quelques semaines de certaines femmes, des plongées dans des vies. Il y a du conflit et du désir, mais aussi de l’amour et de la pensée. Et c’est là que le cinéma trouve sa grandeur, dans le trajet affectif et intellectuel qu’il propose autant à ses personnages qu’à ses spectateurs.  Langues : Français ( fre)
Catégories : |
Education aux médias:Revues:Cahiers du Cinéma
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Note de contenu : |
Éditorial
Portraits d’Amérique par Stéphane Delorme
Événement
Jackie de Pablo Larraín
Vertige et vanité par Jean-Philippe Tessé
Raide dingue de Natalie Portman par Nicolas Maury
Les yeux de Jackie entretien avec Pablo Larraín – par Cyril Béghin
Un portait cubiste entretien avec Stéphane Fontaine – par Jean-Philippe Tessé
Larraín, l’ironie reine par Joachim Lepastier
Cahier critique
Loving de Jeff Nichols – par Cyril Béghin
Avec les Loving entretien avec Jeff Nichols – par Cyril Béghin & Nicholas Elliott
Certaines femmes de Kelly Reichardt – par Nicolas Azalbert
Le vent du Montana entretien avec Kelly Reichardt – par Jean-Sébastien Chauvin
David Lynch, The Art Life de Jon Nguyen, Rick Barnes et Olivia Neergaard-Holm – par Stéphane Delorme
Yourself and Yours de Hong Sang-soo – par Florence Maillard
Split de M. Night Shyamalan – par Vincent Malausa
Gimme Danger de Jim Jarmush – par Joachim Lepastier
Un jour dans la vie de Billy Lynn d’Ang Lee – par Florence Maillard
Le Concours de Claire Simon – par Louis Séguin
La Femme qui est partie de Lav Diaz – par Jean-Sébastien Chauvin
Brothers of the Night de Patric Chiha – par Laura Tuillier
Notes sur d’autres films American Honey (Andrea Arnold) – Chez nous (Lucas Belvaux) – Dans la forêt (Gilles Marchand) – Les Derniers Parisiens (Hamé & Ékoué) – L’Indomptée (Caroline Deruas) – Moonlight (Barry Jenkins) – Quelques minutes après minuit (Juan Antonio Bayona) – Rock’n Roll (Guillaume Canet) – Sac la mort (Emmanuel Parraud) – Silence (Martin Scorsese)
Journal
Réalité virtuelle VR le futur
Production Arcs in progress
Salle Polygone étoilé : l’étoile de Marseille
Programmation Équation à un inconnu à la Cinémathèque
Vidéo Infinie perfection sans faille (les most satisfying vidéos)
DVD Mad Max High-Octane de George Miller
DVD Sudden Fear (Le Masque arraché) de David Miller
DVD Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa
DVD Rusty James de Francis Ford Coppola
Livre Un homme cruel de Gilles Jacob
Livre Au travail avec Eustache de Luc Béraud
Festival Sevcikova à Porto
Festival Montpellier, les autres fictions du Cinemed
Festival Séville, si loin, si proche
News internationales
Disparitions Debbie Reynolds, Carrie Fisher, Zsa Zsa Gabor, Claude Gensac, Marc Nicolas
Hommage
Michèle Morgan
Une étrange destinée par Paul Vecchiali
Au travail
Le costume
Les coutures du film par Laura Tuillier
Voyage
Brésil
Paysage après coup par Joachim Lepastier
Cinéma retrouvé
William Wellman
Beau geste par Cyril Béghin
William Wellman en DVD
Entretien
Enrique Vila-Matas
Vivre dans la fiction entretien avec Enrique Vila-Matas – par Nicolas Azalbert
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Misfits par Luz |
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